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Nov
15

L’assassinat du Curé de Xhignesse

L’assassinat du Curé de Xhignesse à Sy (Ferrières)

Tiré de « CROIX, POTALES ET CHAPELLES » de Jacques Comanne – Collection « Au rythme de… Ferrières » Direction scientifique : Ann Chevalier

Au bout d’un discret sentier qui conduit au bois de Pierreux, à la limite de la commune avec Hamoir, se dresse la croix du Curé (1778).

C’est une croix de calcaire, lobée et nimbée. Dans le bas, en assez fort relief : un crâne et deux tibias croisés. Cette croix d’occis porte deux scellements de réparation.  L’inscription nous dit :

O   VOUS

QUI  PASSEZ  PRIEZ  POUR  LE

REPOS  DE  L’AME  DE  FEU  LE

Rnd SIRE   EVERARD   DELEAU

CURE   DE   XHIGNESSE   QUI   FUT   ICY   PRO-

DITOIREMENT   ATTENDU   ASSAILLY   ET

ASSOMME   LE   16  9Bre  1778

R I P

L’histoire est célèbre. Nous allons cependant tenter de la résumer. Un dimanche d’octobre 1778, en s’apprêtant pour la messe, le curé Deleau constate que sa sacristie de Xhignesse a été dépouillée de vases sacrés et d’ornements liturgiques. Les voleurs ont été adroits : il n’y a pas, pour ainsi dire, de traces d’effraction. Tout ému, le prêtre monte en chaire, et, dans son homélie, aurait désigné les ravisseurs comme de « fins renards ». Or, dans un banc, non loin de là, les trois frères Renard, de la paroisse, assistent à l’office. Ce ne sont pas précisément des enfants de choeur. L’un d’eux, Gilles, a déjà été pris en flagrant délit de vol chez le curé. Ils se sentent visés par le prêche. Ils ne sont pourtant pas coupables : le voleur sera arrêté plus tard à Visé.

Ils ruminent leur vengeance. Le dimanche 15, leur décision est pri­se. Avec l’aide de Joseph Lerusse d’Ozo. qui est le débiteur du curé, ils l’assassineront. Le curé Deleau doit se rendre le lendemain à Bomal aux obsèques de son confrère. Il reviendra à la nuit tombante.

Le meurtre eut lieu dans le bois de Pierreux, à l’endroit, à peu près, où se dresse aujourd’hui la croix. Michel et Gilles n’ont eu aucune difficulté à s’absenter. Michel travaille là, à une coupe de bois, Gilles était parti aux champs : le troisième, Jean-Joseph tenait la brasserie banale de Filot. Il brassa ce jour-là pour François Dubois, qui resta près de lui jusqu’à qua­tre heures. Mais à cette heure, il put rejoindre ses complices.

Le curé arrive. Les bandits se jettent sur lui. Qui porte le premier coup ? La tradition veut que ce soit Gilles. Quoi qu’il en soit, c’est bientôt la ruée. Le curé a beau promettre le silence en implorant la vie sauve, rien n’y fit. Son cadavre fut jeté dans un buisson.

Le lendemain, le village s’émut de la disparition de son pasteur. On commença les recherches. Les frères Renard, inquiets, veulent faire croi­re à un accident. Ils décident de jeter le corps dans l’Ourthe, du haut d’un rocher. Avec Lerusse, ils retournent au bois. Mais ils se contenteront de jeter le cadavre dans la « xhavée de Cwernèye Vâ ». Le corps fut retrouvé le lendemain.

La rumeur ne tarda pas à accuser les trois frères. Mais ils nient énergiquement. La cour de Hamoir instruit l’affaire. Le 13 août 1779, elle décrète leur arrestation et celle de Lerusse. Mais celui-ci a disparu, avec sa belle-soeur, et reste introuvable.

Il n’y a pas de prison à Hamoir. La cour demande au prince-abbé, Jacques Hubin, l’autorisation de transférer les inculpés à Stavelot. Le prince agrée leur demande.

Malgré les charges accablantes, les frères Renard continuent à nier. Mais les témoignages sont clairs, surtout celui d’Antoine Xhaar de Filot. Il rapporte une conversation qu’il a eue avec Lerusse, et ou celui-ci a raconté toute l’équipée du mardi pour se débarrasser du cadavre.

La cour de Malmédy étudia l’affaire de longs mois. La participation de Jean-Joseph au meurtre restait douteuse Fin juillet 1780, la cour décida de mettre Ies accusés à la torture. Michel, le premier, est soumis à l’estra­pade. Ses mains solidement attachées derrière le dos, on passe la corde dans une poulie fixée au plafond. Le bourreau fixe l’autre  extrémité à un tambour, sur lequel il l’enroule. Michel est hissé vers le plafond, plié en avant, les bras tirés vers l’arrière. Les jointures des épaules craquent, se déboîtent. Il hurle. Il demande à être détaché, il avoue. Le médecin lui remet alors les os en place. Puis on prend note des aveux : Gilles, Michel Lerusse, et un certain Joseph, domestique à Hamoir, ont bien commis le crime.

L’après-midi, Gilles, à son tour, est soumis à la torture. Lui aussi avoue, après cinq minutes. Il cite comme complice son frère Jean-joseph, que Michel avait omis de mentionner. Mis à la torture trois jours plus tard, ce dernier avouera sa participation au crime, après dix minutes de supplice.

Tous trois avaient raconté l’affaire dans ses moindres détails. L’assassinat avait été décidé la veille du meurtre, le dimanche, chez Gilles, sur la proposition de Lerusse, qui espérait ainsi échapper à sa dette.

La cour rendit sa sentence. Elle condamna les frères Renard à être tenaillés par trois fers aux pincettes ardentes, puis roués vifs et étranglés. Leurs corps seraient exposés pour servir d’édification à la foule.

Le prince-abbé leur fit remise de la première partie de la sentence. Le lundi 7 août, les condamnés, liés sur des traîneaux tirés par des che­vaux, sont amenés sur le lieu du supplice, la colline de Floriheid, en face de Malmédy. La sentence fut exécutée devant une foule immense, venue de partout.

Voilà la tragique histoire du curé de Xhignesse et des frères Renard. Elle impressionna les mémoires populaires, et inspira même le théâtre.

Au siècle dernier, la croix était devenue le lieu de pratiques magico-médicales.  On venait y prier pour obtenir la guérison de maux de dents.

Photos du blog de Jean de Floreffe :

http://jean-de-floreffe.eklablog.com/13-sy-lassus-et-palogne-a3287009

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